La voie du thé
Du jardin des paysans à la cour des empereurs, le thé a façonné rituels, comportements, philosophie et arts de vivre, en Asie comme en Europe. Voici l' histoire de cette boisson millénaire au travers des œuvres du musée.
La naissance en Chine
Le thé est, après l’eau, la boisson la plus bue dans le monde. Né en Chine, il entre dans les mœurs au début de notre ère et va gagner progressivement l’Asie orientale, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Amérique. Au cours des deux millénaires de son histoire, sa consommation passera par trois phases : l’âge du thé bouilli, sous les Tang (618-907), l’âge du thé battu, sous les Song (960-1279), l’âge du thé infusé, sous les Ming et les Qing (1368-1911).
Légende d’un breuvage
En Chine, une légende rapporte qu’un souverain mythique, Shen Nong, surnommé le « divin laboureur », inventeur de l’agriculture et expert en plantes médicinales, aurait un jour mâché une herbe inconnue qui lui aurait rendu la tête lourde. S’étant appuyé la tête contre un arbre pour se reposer, quelques feuilles tombèrent sur lui. Il les goûta et trouva leur saveur parfumée. Très rapidement, il retrouva ses esprits et sa tête devint claire. Cette fable est mentionnée pour la première fois à la fin du 5e siècle de notre ère dans le Bencao Ji Zhu, « Livre de pharmacopée commentée ».
Théiers
Originaire de la province du Yunnan, un théier pousse à l’état sauvage et peut mesurer de dix à quinze mètres. Certains dépassent les trente mètres, dont le plus ancien spécimen, dans le district de Fengqing, âgé de plus de 3700 ans. Le théier est un cousin de la famille du camélia horticole, comme le montre cette Branche de théier impérial en fleur.
Thé ou vin ?
Dans l’antiquité, le vin joue un rôle majeur dans les banquets et dans les rituels. Au début de notre ère, les lettrés chinois vont l’affectionner au point d’inventer le jeu des « coupes flottantes » qui consiste à se saisir de l’une de ces coupes remplies de vin, de la boire, puis de déclamer un poème. Toutefois, au 6e siècle, le thé reçoit l’appui des communautés bouddhiques et devient un concurrent redouté. Le vin, plus charnel, s’affronte au thé, plus spirituel. Cette rivalité fait l’objet du Chajiu lun, une joute oratoire fictive entre les deux breuvages personnifiés, écrite au 10e siècle par Wang Fu. À la fin du texte apparaît une troisième figure, l’eau, qui parvient à apaiser le débat.
Art noble
À l’époque Tang (618-907), les feuilles du théier cessent d’être regardées pour leurs simples propriétés curatives et deviennent les ingrédients d’un breuvage de plus en plus élaboré. Le thé change véritablement avec la parution du Chajing, le « classique du thé » paru dans la seconde moitié du 8e siècle. L’approche de son auteur, Lu Yu, héritée de ses séjours au sein de monastères bouddhiques, élève la consommation du thé au rang de liturgie. Il décrit dans l’ouvrage les étapes d’une culture et d’une préparation très sophistiquées, qui requièrent une large panoplie d’instruments. Le Chajing en recense vingt-huit pour préparer le feu, cuire, chauffer, moudre, mesurer, filtrer, puiser, saler, présenter, servir, conserver et nettoyer.
La route du thé
Le thé contribue à la production de céramiques dans la Chine septentrionale, et à la fin du 8e siècle, il gagne tous les milieux, même les plus modestes. Grâce aux progrès du conditionnement sous formes de galettes ou de briques compactes, le thé devient une monnaie d'échange précieuse qui permet la mise en place d’un réseau routier dit Chama Gudao, littéralement « l’ancienne route du thé et des chevaux ». Les Tibétains et plus tard les Mongols, alimentés par ce commerce, deviennent de vrais consommateurs de thé fermenté. Cette route va jouer un rôle comparable à la célèbre « route de la Soie ».
Thé battu
Les mystérieuses propriétés stimulantes du thé, qui libère l’esprit et renforce les liens entre amis, vont se trouver amplifiées par la méthode du « thé battu ». Celle-ci consiste à mettre dans un bol du thé réduit en fine poudre, puis à le battre avec un fouet en bambou en le mélangeant avec l’eau bouillante provenant d’une bouilloire. Préparée avec du thé vert, cette émulsion mousseuse constitue un breuvage tonique. Dans la période Song (960-1279), la pratique du thé battu s’épanouit sous le patronage impérial. Partout s’ouvrent des maisons de thé. L’adoption du thé dans toute la Chine a pour conséquence la naissance d’une véritable industrie porcelainière spécifique. Ce phénomène se produit autour de l’an mil dans la mouvance de la découverte des célèbres gisements de kaolin de Jingdezhen au Jiangxi en Chine méridionale.
La cérémonie du thé
Les liens entre thé et bouddhisme sont à l’origine de son introduction au Japon. Au 12e siècle, le moine Eisan, fondateur de la secte de Rinzai, apporte de Chine des graines de théier qu’il va semer à Uji, au sud de Kyoto.
Le chanoyu ou « cérémonie du thé » a pour précurseur le moine Ikkyu (1394 -1481). Sen no Rikyu (1522-1591) demeure probablement la figure la plus marquante de cette longue lignée de maîtres de thé. Il porte la cérémonie du thé à son point extrême en introduisant la notion de ichi-go ichi-e, littéralement « une fois, une rencontre ». Il appelle à considérer chaque rencontre autour du thé comme un événement unique qui ne se reproduira plus.
Thé infusé
Le thé en feuilles ou sencha est adopté au début de la dynastie Ming (1368-1644). Dès lors, le thé est infusé. La pratique se répand et s’est maintenue jusqu’à nos jours. La préparation et la consommation de thé s’en trouvent encore facilitées. Les lettrés et les arbitres du goût portent notamment une grande attention à un objet alors nouveau : la théière. Potiers, porcelainiers, orfèvres et émailleurs s’ingénient à créer des chefs-d'œuvre, comme ceux sortis des officines de Yixing au Jiangsu. Parmi les formes répandues, on compte les morphologies naturalistes, dérivées par exemple du bambou ou des cucurbitacées.
La cueillette
Progressivement, la plupart des thés viennent de plantations installées sur des pentes car le théier aime l’altitude, les terres riches et légèrement acides, l’humidité, la chaleur, mais aussi l’ombre et la brume. Bientôt de grands centres de production acquièrent une renommée internationale.
Le pavillon de thé
Œuvre de l’architecte japonais Masao Nakamura, le pavillon de thé du musée national des arts asiatiques – Guimet a été construit en 2001. Composé de deux pièces et d’un tokonoma, une alcôve surélevée, il accueille les cérémonies du thé.
Elles offrent un moment privilégié pour goûter l’un des aspects les plus raffinés de l’art de vivre du Japon, structuré par quatre principes : harmonie (wa), respect (kei), pureté (sei) et sérénité (jaku).