Le tour du monde d’Émile Guimet
Toujours accompagné d’amis, Emile Guimet découvre l’Espagne (1862) avec le poète Henri de Riberolles (1837-1908), et l’Égypte (1865-1866) en compagnie du dessinateur lyonnais Georges Duseigneur (1841-1906).
L’Égypte, la « porte de l’Asie », c’est le lieu de tous les possibles, la réponse à maintes questions. Alors que Ferdinand de Lesseps y creuse le canal de Suez (1859-1869), Guimet y découvre sa vocation en visitant le musée de Boulaq, l’ancêtre du musée du Caire
L’Amérique
En 1876, Émile Guimet arrive à New York en mai, où il retrouve Félix Régamey. De là ils rejoignent Philadelphie qui accueille la « Centennial International Exhibition », une vaste Exposition universelle célébrant le centenaire de la création des États-Unis d’Amérique. Il y expose avec succès le produit de ses usines de « bleu Guimet » avant de prendre le train qui relie depuis peu la côte Est des États-Unis à la Californie.
Parcourir l’Amérique, c’est passer du Nouveau Monde avec ses promesses de développement économique et ses grandes cités déjà modernes, aux paysages les plus sauvages où la « civilisation » ne pénètre que par à-coups. Le long voyage permet aux deux hommes d’apprécier la variété des sectes religieuses qui se sont alors développées en Amérique du Nord et que la France connaît mal. Ils constatent aussi avec consternation le traitement infligé aux Indiens dans un monde en plein bouleversement avant de rejoindre San Francisco au début du mois de juillet 1876. En août, ils s’embarquent pour le Japon.
Le voyage au Japon
Le Japon s’ouvre lentement aux visiteurs étrangers à partir de la restauration Meiji (1868). À leur arrivée en août 1876, Émile Guimet et Félix Régamey découvrent un pays fascinant où les aspects de la vie quotidienne les enchantent, les déroutent parfois, sans jamais les laisser indifférents.
Mais les déplacements sont limités à quelques villes et soumis à l’autorisation des autorités. Comme d’autres voyageurs, ils empruntent des pousse-pousse ou d’inconfortables palanquins le long de routes bien balisées.
Ils visitent temples et monastères où il leur faut constamment se déchausser, geste malhabile avec difficile pour des Occidentaux chaussés de guêtres et bottines, font halte dans des auberges traditionnelles où ils s’initient à l’art de manger avec des baguettes et de coucher sur une mince natte déroulée au sol.
Musicien dans l’âme, Émile Guimet s’attache à noter les mélodies entendues au gré des étapes tandis que Félix Régamey croque des scènes de théâtre ou de danse.
Pourtant ce Japon en apparence immuable est déjà en passe de s’occidentaliser irrémédiablement.
La Chine
Arrivés à Shanghaï en novembre, Émile Guimet et Félix Régamey sont déçus par la Chine, qu’ils explorent peu. Le pays, miné par des guerres et de révoltes, leur apparaît désespérément pauvre, sale et sombre et ils n’ont guère de temps pour tenter malgré tout de comprendre le pays et dépasser cette vision négative.
Les interprètes manquent ; Émile Guimet se heurte à la suspicion ou l’incompréhension des religieux qu’il essaie d’interroger sur leurs doctrines, Félix Régamey à l’hostilité de la foule lorsqu’il entreprend de dessiner dans la rue. Pourtant, Émile Guimet ne semble pas trop déçu par l’impossibilité de mener son enquête, estimant que les religions chinoises sont déjà bien étudiées par les Occidentaux.
Ils visitent des temples et des hospices, une église chrétienne et une mosquée à Canton, assistent à des cérémonies religieuses ou civiles, qu’Émile Guimet relate par la suite dans des articles de presse illustrés de gravures de Régamey.
La collecte d’ouvrages, d’objets religieux mais également de porcelaines chinoises se poursuit, toujours dans le but d’alimenter le futur musée.
Ceylan et l’Inde
Après une escale à Singapour en janvier 1877, les deux hommes visitent les principaux sites de l’île de Ceylan, où Émile Guimet continue d’interroger moines et bonzes, pour juger un peu sévèrement que le bouddhisme y est « fort dégénéré ». Pour autant, certains moines inspirent à Félix Régamey une toile d’une puissante expressivité.
Ils traversent ensuite le détroit pour remonter la côte de Coromandel jusqu’à Madras. En chemin, la visite de temples amène Émile Guimet à s’interroger sur les influences supposées de la Grèce et de l’Égypte sur les arts d’Asie et l’état de la recherche archéologique comparative.
Le retour en France, via le canal de Suez, en mars 1877, clôt ce voyage de dix mois.
L’œil ethnographique
Formé à l’école du dessin d’observation et de mémoire, Félix Régamey exécute des milliers de croquis afin de documenter le voyage, à l’appui des carnets de notes prises par Émile Guimet.
Japonisant de la première heure, Félix Régamey est totalement conquis par le pays. Il dessine sans relâche, croque des personnages, des monuments, des paysages. Il saisit au vol des expressions, des attitudes, avec une tendresse manifeste pour ces gens ordinaires dans leur environnement familier, ces scènes de la vie quotidienne.
À leur retour en France, il exécute une quarantaine de toiles, généralement de grand format, destinées à évoquer le contexte visuel du futur musée d’histoire des religions qu’Émile Guimet envisage.