Krishnâ Riboud, une chercheuse d'exception
Krishnâ Riboud (1926-2000) naît le 12 octobre 1926 à Calcutta. Fille d’un médecin et de la petite-nièce du prix Nobel de littérature, Rabindranath Tagore (1868-1981), elle est élevée au sein de la famille Tagore après le décès prématuré de son père. Là, elle baigne dans l’esprit cosmopolite propre aux engagements de son grand-oncle en faveur de la renaissance culturelle et de l’indépendance de l’Inde.
Après l’obtention d’une bourse, elle poursuit ses études aux États-Unis où elle obtient un diplôme en philosophie. Elle y rencontre, puis épouse en 1947, Jean Riboud, un industriel français, frère du photographe Marc Riboud. Installés à New York pendant les premières années de leur mariage, ils se lient d’amitié avec écrivains, peintres, poètes, photographes et cinéastes de l’époque.
En 1951, le couple s’installe à Paris où Jean entre dans le groupe industriel Schlumberger. Très vite, ces amoureux de l’art commencent à collectionner mais aussi à aider financièrement des artistes ou des institutions culturelles comme la Cinémathèque. Krishnâ Riboud se rend régulièrement en Inde et débute une collecte qui l’occupera toute sa vie. Très intéressée par les arts et traditions populaires de son pays de naissance, elle focalise ses recherches sur les textiles, attentive à réunir des pièces illustrant la richesse et la diversité des techniques utilisées. Cette spécialisation va vite faire de Krishnâ Riboud une actrice incontournable de l’étude des textiles de l’Inde, puis bientôt de l’Asie toute entière.
Ainsi, dès 1962, elle est sollicitée par Jawaharlal Nehru, le Premier Ministre indien, pour l’organisation d’un événement autour des textiles indiens, à la Galerie Bernheim à Paris. L’exposition, agrémentée de prêts de musées tel le Victoria & Albert Museum est inaugurée par André Malraux, alors ministre de la Culture. S’ensuit une rencontre avec Jeannine Auboyer, conservatrice du musée Guimet qui lui confie, à partir de 1964, l’étude des textiles du musée et en particulier ceux de la collection Paul Pelliot.
Dans les années 1970, Krishnâ Riboud lance un vaste programme de recherche sur les tissus anciens de l’Asie centrale, encouragée dans son projet par les spécialistes de l’époque, Louis Hambis, professeur au Collège de France et disciple de Paul Pelliot, et Gabriel Vial, professeur à l’école de Tissage de Lyon, qu’elle avait rencontré au Comité International pour l’Étude des Textiles Anciens (CIETA). Son approche, plus centrée sur les techniques de production des textiles, complète une étude jusqu’alors centrée sur l’iconographie et la place de ces pièces dans l’histoire de l’art.
Conscient de l’importance de ces recherches, Jean Riboud assiste Krishnâ dans la création de l’Association pour l’Étude et la Documentation des Textiles d’Asie (AEDTA) en 1979. Dès lors, une politique d’acquisitions, de recherche et de publications s’amorce. Dans les années 1980, la collection atteint 4000 numéros inventoriés, elle devient rapidement la plus grande collection privée dédiée aux textiles asiatiques.
Le décès de Jean Riboud en 1985 renforce l’implication de Krishnâ dans le développement de son association et dans sa volonté de faire connaître les textiles d’Asie. En 1990, elle fait un premier don au musée Guimet, d’un ensemble de 150 textiles. Ce premier acte de générosité est suivi par la donation effectuée en 2000, année de sa disparition, d’un des plus beaux ensembles d’objets d’art et de bijoux de l’Inde des 17e et 19e siècles jamais réunis par une seule et même personne. Avec l’ouverture du musée Guimet en 2001 est inaugurée la galerie Jean et Krishnâ Riboud.
Conformément à son souhait, en 2003, le reste de sa collection – soit près de 3 800 pièces auxquelles s’ajoutent 150 objets (aquarelles, objets témoignant des techniques de tissage) – est légué au musée, qui se trouve dorénavant parmi les mieux dotés au monde dans ce domaine. Outre son importance scientifique et numérique, ce legs a permis de conserver à la collection toute sa cohérence et son histoire.
Une collection exceptionnelle
Les textiles couvrent une très large période, allant de la Chine des Royaumes Combattants (475-221 av. notre ère) au 20e siècle. La quasi-totalité du continent asiatique est couverte mais quatre grandes aires géographiques sont privilégiées : l’Inde, le Japon, la Chine et l’archipel indonésien.
Avec plus de 1600 numéros d’inventaire, l’Inde constitue le cœur de la collection. D’un point de vue technique, ce fonds est composé, en majorité, de textiles teints, imprimés ou peints. D’autres textiles sont brodés, pour la plupart, d’origine « populaire ». Un dernier ensemble présente des décors obtenus par différents procédés complexes de tissage.
En deuxième position vient le Japon avec environ 650 numéros d’inventaire. Parmi ceux-ci, on trouve un des plus beaux ensembles de kesa (vêtement liturgique bouddhique), en dehors du Japon, ainsi que des costumes et textiles de la période Edo (1603-1868).
La Chine est représentée par quelques 580 pièces, bien souvent des étoffes inestimables comme des fragments de gazes remontant aux Tang (618-907), des soieries brochées d’or ou encore de prestigieux costumes de cour des périodes Ming et Qing (1644-1911), ainsi que des vêtements de certaines minorités ethniques du sud de la Chine (tribus Miao et autres).
L’Asie du Sud-Est avec un peu moins de 500 pièces, dont les trois quarts proviennent d’Indonésie, constitue la part la plus ethnographique de la collection. On remarque également une grande diversité technique, souvent fascinante : différents types d’ikat, des batiks de Java, de merveilleux songket de Sumatra…