Avec son caractère violent, l’apparence particulièrement complexe et effrayante du dieu tutélaire Chakrasamvara a ceci de paradoxal qu’elle est l’une des mises en image du niveau le plus subtil et le plus épuré de la conscience dans les pratiques de méditation et de visualisation du bouddhisme tibétain.
Chakrasamvara apparaît ici dans une attitude dynamique, souvent utilisée dans les représentations des déités d’apparence courroucées, jambe gauche fléchie, jambe droite tendue. Enlaçant sa parèdre dans un mouvement plein d’élan, le dieu est figuré sous sa forme la plus importante, avec douze bras et quatre têtes. Ses mains principales, croisées dans le dos de la déesse, tiennent les deux instruments les plus essentiels aux rituels du bouddhisme tantrique : le vajra, "foudre-diamant" et la ghanta "clochette". Entouré des soixante-deux divinités de sa suite, ainsi que de quelques figures de religieux illustrant le lignage de transmission des pratiques rituelles qui lui sont associées, Chakrasamvara participe de la "claire lumière" de l’esprit permettant au pratiquant d’atteindre à la félicité produite par la perception de la non-dualité du samsara et du nirvana, représentant respectivement l’état d’existence et l’état de non-existence de tout être.
Ce thangka, attribuable à la fin du 15ème siècle, fut créé dans la partie occidentale de la sphère culturelle et religieuse tibétaine. De nombreux détails stylistiques, notamment la facture des pétales du lotus sur lequel se dresse le couple divin ou la découpe des tourbillons de flammes qui l’entourent, invitent à rattacher cette œuvre à l’art du royaume de Guge (10ème-17ème siècles), où l’ordre des Gelugpa, les "Vertueux" fondé par le lama (maître spirituel) Tsongkhapa (1357-1419) au début du 15ème siècle, connut de remarquables développements.